Un ingénieur, un entrepreneur, et un politicien entrent dans un bar

« … le barman les regarde s’accouder au comptoir, et leur demande “C’est une blague ?” …»

Quelques temps avant d’écrire ces lignes, une discussion fort intéressante a émergé sur les réseaux sociaux autour de la manière de répondre aux problèmes rencontrés concrètement par les citoyens dans leur vie de tous les jours, quand on est un politicien libéral. À l’heure où les sujets de société deviennent de plus en plus complexes et transdisciplinaires, la tentation d’imaginer le politicien comme un mouton à 5 pattes, capables de porter toutes les casquettes, refait surface. Dès lors la nécessité de disserter sur les rôles respectifs des métiers qui structurent la société nous a paru importante.

Chaque citoyen électeur a des attentes très spécifiques du politicien qui va le représenter au parlement ou assurer un poste exécutif comme celui de Président de la République. Chaque citoyen projette, sur le politicien, ses craintes et ses espérances. Une demande récurrente faite à ce dernier est de partager sa vision, de la situation, de l’avenir, de la société et du monde en général. Cette vision décrirait alors la façon avec laquelle le politicien pense pouvoir façonner le pays, et résoudre in fine les problèmes très concrets que l’électeur souhaite voir réglés.

Sauf que le politicien n’est ni un entrepreneur, ni un ingénieur.

Les auteurs libéraux, ont tous expliqué à leur manière, les causes profondes de l’inefficacité des politiciens à répondre aux besoins de la population. Hayek notamment rappelait dans son article « De l’usage du savoir dans la société », que l’information était éparpillée au travers de toute la société, et qu’il était impossible d’extraire et concentrer toute cette masse d’information dans les mains d’une minorité, sans perdre en quantité et en pertinence. Devant la très grande difficulté à concentrer dans peu de mains la somme d’informations nécessaires à la conduite des hommes, les régimes politiques tendent alors vers une emprise de plus en plus grande sur la vie de leur citoyens, rognant un peu plus à chaque fois sur les droits des individus. Il n’existe pas de limite physique à l’expansion des prérogatives de l’État et du politique.

Le 20ème siècle, et encore notre époque, ont donné raison à Hayek. Dans la pratique, les compétences des politiciens sont limitées, et la quantité et la qualité d’information dont ils disposent est limitée aussi. Elle n’est compensée par aucun système de surveillance de masse aussi sophistiqué soit-il, ni par l’action des agences gouvernementales censées regrouper des experts au service exclusif de l’État. Idéalement, chaque représentant viendrait au parlement avec ses compétences, son expérience professionnelle, et la somme de ces compétences particulières donnerait un parlement proche de l’omniscience. Mais dans la pratique, l’électeur vote rarement pour un politicien sur la base de son curriculum vitae.

Plusieurs faits d’actualité, contemporains de l’écriture de cette tribune, en sont un exemple. Nous allons nous concentrer sur l’un d’entre eux : la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim. Bien qu’un rapport plus que rassurant de l’ASN sur la sûreté de la centrale de Fessenheim soit paru, en dépit de l’incontestabilité du fait que l’énergie nucléaire est la source d’énergie la plus décarbonée qu’il soit, et le fait que malgré quelques accidents retentissant dans l’histoire de cette industrie, il s’agit de la source d’énergie à avec la la plus faible morbidité, la centrale a été mise à l’arrêt au nom de la lutte contre le changement climatique et la transition énergétique, et sur la peur d’un possible accident imputable à l’ancienneté de la centrale. 

Les politiciens n’ont fait que répondre aux conséquences des campagnes de lobbying intenses contre le nucléaire depuis des années, la coterie des industriels des énergies renouvelables, et à la confusion produite dans l’opinion publique entre nucléaire et réchauffement climatique. La majorité des politiciens s’illustrent comme étant des suiveurs, ayant pour intérêt la prochaine échéance électorale et non la rationalité ou la prospérité de la nation, contrairement à la légende qui les entoure. Dès lors il est contre-productif de demander au politicien d’être un technicien, un meneur, un influenceur, et un inspirateur, en tout domaine. La compétence propre du politicien est de scruter et d’interpréter la volonté populaire, et dans la mesure de ses capacités et de ses croyances personnelles, de la satisfaire.

Reconnaître qu’un politicien doit inspirer la vertu ? C’est promouvoir le perfectionnisme politique.

Reconnaître qu’un politicien doit être un meneur ? Croire en l’existence d’un homme providentiel ne sert pas la France, et nourrit encore des discours nostalgiques de De Gaulles, voire Napoléon, sans véritable perspective réaliste sur les problématiques contemporaines.

Reconnaître qu’un politicien doit inspirer le progrès technique ? C’est faire la promotion d’une technocratie absolutiste, dont les méfaits ont déjà été décrits maintes fois en France comme en URSS.

Dans la culture libérale, la figure du meneur est plutôt celle de l’entrepreneur. Nos adversaires caricaturent volontiers l’estime que nous avons pour celui-ci, comme une soumission à une figure tutélaire. Mais nous lui reconnaissons juste le droit de tenter, le courage d’essayer. Nous admettons aisément qu’il peut connaître l’échec. C’est le propre même du marché libre que de permettre l’émergence et la disparition des idées et des solutions très diverses. C’est la somme des échecs particuliers qui aideront à identifier la voie de la réussite, que la majorité suivra. Le citoyen consommateur est au final le seul juge. Une économie reposant sur des individus libres et humblement opportunistes, est la plus à même d’assurer l’exploitation optimale de cette information et des ressources.

Dans la culture libérale, le politicien est un individu prudent, peu entreprenant car il laisse faire, il laisse passer, il fait confiance à ses concitoyens. Et quand l’absolue nécessité l’impose, il légifère. Mais comme dit Montesquieu, il le fait d’une main tremblante, très loin de l’intrépidité d’un entrepreneur.

Un individu qui se voudrait à la fois politicien et entrepreneur, ou l’existence d’un rapport trop étroit entre ces figures, constituent une brèche dans laquelle tout opportuniste avisé aurait tort de ne pas s’engouffrer. Le « capitalisme de connivence », que nous dénonçons si souvent, se nourrit de cette confusion entre monde politique et monde industriel et commercial. Le politicien se retrouve alors dans la situation où il a l’influence nécessaire pour orienter des lois qui vont dans le sens de son projet entrepreneurial. La dénonciation contre les conflits d’intérêts est un sujet récurrent depuis de nombreuses années, et ceci en est un !

Nous reconnaissons, dans ce monde de plus en plus complexe, la nécessité d’avoir en notre sein, des personnalités motivées travaillant dans toutes les branches professionnelles. De ce constat découle notre volonté de nous constituer comme un parti de politiciens non-professionnels. Mais la figure du politicien entrepreneur ou ingénieur, porte une tension, une contradiction pour l’action d’un parti politique faisant la promotion du libéralisme.

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