
Cohérence des choix et pensée juste : Être économiste ou socialiste il faut choisir.
Il n’est nulle démagogie, ni populisme, non plus que nostalgie de constater que notre époque est marquée de façon singulière, et non sans conséquences désastreuses, par la possibilité, y inclus pour des intellectuels, de multiplier les contradictions internes à l’intérieur de leurs propres écrits. Se déploie aussi sur les chaînes d’information en continu et les réseaux sociaux le refus d’accorder une place centrale à la compétence d’où le fait notable que n’importe qui peut désormais écrire n’importe quoi tout en ayant une audience éventuellement non négligeable. Or en matière intellectuelle la cohérence et la rigueur du propos, l’utilisation comme outil de la raison, est à la pensée ce que la médaille militaire est au soldat, c’est à dire la seule distinction qui importe, compte et distingue.
Planification ou ordre spontané.
Ces prolégomènes appliqués à l’étude de l’ordre social amènent immédiatement à déduire et proposer la grille de lecture suivante : s’agissant de la question des systèmes et structures qui permettent de trouver des procédures afin d’harmoniser et coordonner les choix dispersés des agents il y a deux solutions et deux seulement théoriquement pensables. Le communisme en effet a une cohérence interne que l’on ne peut contester.
C’est une autre chose que la question des résultats des procédures choisies par ce système. Imaginer l’ordre social par avance comme construction intellectuelle de l’homme nouveau et de la société parfaite par quelques esprits, c’est-à-dire être partisan de l’ordre construit qui ne serait pas le résultat des choix libres des individus, est une solution possible. Le système alors est tout entier adossée à la centralisation et au parti unique dirigée par quelques-uns censés avoir la lucidité et la perspicacité afin de choisir pour et au nom des autres.
Dans l’ordre de l’économique, le communiste afin de répondre aux trois questions classiques formulées (pédagogiquement) par Samuelson, c’est-à-dire quoi, comment, et pour qui produire ? utilise la boîte à outils de la planification, habituellement quinquennale, décidant des besoins des individus, puis de la combinaison des facteurs de production afin de produire les biens et services choisis antérieurement, enfin de distribuer les pouvoirs d’achat nécessaires à l’acquisition des biens et services proposés par le planificateur.
Que le résultat de ces choix hic et nunc, urbi et orbi, aient été désastreux tant sur le plan des libertés que des linéaires désespérément vides des magasins ne change rien sur le plan de la cohérence. Les goulag et les pénuries signifient simplement que ces solutions ne sont pas les bonnes, et que les fondements philosophiques sur lesquels les décisions ont été adossées sont erronés, ce qui est évidemment d’une importance cruciale pour valider à l’inverse les solutions basées sur l’ordre spontané, la décentralisation, la périphérie, le marché, le système des prix, le libre-échange, le profit, le respect des contrats, le rôle éminent du droit, bref la liberté, la responsabilité, et la propriété privée. Si bien qu’on est amené, si on raisonne correctement, à estimer que ces options de système sont si tranchées qu’il il n’existe donc en réalité que deux solutions cohérentes et intellectuellement tenables. Être ou pour la centralisation, l’ordre construit, le plan, c’est-à-dire socialiste ou pour la périphérie, l’ordre spontané et le marché, c’est-à-dire être libertarien.
Être ou ne pas être.
L’une des manifestations majeures du trouble des esprits contemporains est d’imaginer que quelque chose peut simultanément être et ne pas être. Mais de facto il n’existe que deux positions tenables sur le plan de l’esprit. Ou bien l’État est une institution bienfaisante, porteuse de l’intérêt général, nécessaire en raison du choix de la violence entre les individus, et du fait qu’ils préfèreraient la guerre à la paix. L’homme serait un Loup pour l’homme (pour parler comme Hobbes) et pour séparer les violents, il faut une force neutre (et acceptée par le corps social) qui empêche les Caïns de tuer les Abels.
En outre l’État, institution porteuse de l’intérêt général serait dans son rôle majeur pour beaucoup d’esprits contemporains par ses interventions pour remettre de la justice là où les résultats de l’ordre spontané du marché créeraient des inégalités moralement insupportables. Contrairement à ce que croient les esprits pressés et hâtifs la taxe Zucman a remporté un succès considérable, non pas certes dans les votes du parlement, mais, et cela est bien plus important, dans les esprits. Le terme « ultra riche » qui est évidemment stigmatisant, est employé depuis le Rassemblement National jusqu’à la France Insoumise et chacun de rivaliser en matière d’ingénierie fiscale pour savoir quel est le meilleur moyen de « punir » les ultra riches. Là encore et de nouveau les apparences sont trompeuses, sur le plan intellectuel c’est Piketty qui a gagné et Bernard Arnault qui a perdu.
Selon deux penseurs aussi considérables que Keynes et Hayek – c’est leur seul point d’accord – les idées entraînent des conséquences. Si donc l’État est simultanément bienveillant, réducteur de violence, porteur de justice il faut lui donner tous les pouvoirs possibles dans tous les domaines et sur tous les territoires. Pourquoi laisser au marché introduire des distorsions, des inégalités, des mauvais choix de futurs licenciements, des destructions humaines et planétaires par des choix erronés d’individus mal intentionnés et malfaisants que sont les entrepreneurs dont la seule grille de maximisation et d’optimisation est le profit soit en faisant payer plus cher aux consommateurs ce qu’ils devraient payer moins cher, soit par l’exploitation de la force de travail des salariés.
Soit, deuxième hypothèse, l’État est, après l’obtention du monopole de la production du droit et du monopole de la violence légale, la cause depuis toujours de la capture d’une partie croissante de notre travail, d’arbitraires sanglants, de catastrophes, en particulier par le déclenchement des guerres, soit pour agrandir son territoire – c’est-à-dire asservir d’autres peuples aux décisions des hommes de l’État – soit pour concrétiser des idéologies mortifères dont le XXe siècle est malheureusement l’archétype. Pour ne citer que deux évènements de son palmarès des Grecs à nos jours : 11 millions et demi de morts durant la Première Guerre mondiale, 55 millions durant la seconde. Un esprit objectif concèdera volontiers que les crimes de la mafia ou des tueurs en série représentent réellement des procédés et façons de faire d’enfants de chœur par rapport à Joseph Staline, Adolf Hitler, Benito Mussolini, Mao Zedong sans compter Pol Pot, et une cohorte de tueurs de masse tous intégralement – sans exception – hommes de l’Etat.
Sans compter qu’au nom de la patrie, mais avec la joie post – mortem d’avoir son nom gravé sur les monuments aux morts, les hommes de l’État nous prennent nos enfants (gare à celui qui refuserait en désertant) pour les envoyer à la mort pour des causes qui le lendemain éventuellement n’en sont plus. ( Ainsi par exemple des enfants de France sont morts en Algérie entre 1954 et 1962 pour finalement que l’on estime s’être trompé, et que l’Algérie n’était pas française, mais devait revenir aux Algériens de souche).

Un choix nécessaire.
Si l’État est aussi malfaisant et dangereux qu’il vient d’être écrit, il est incontestablement absurde de lui permettre d’intervenir dans nos vies, de le laisser se développer comme il l’a fait au cours du dernier siècle et demi, s’installant dans nos vies jusqu’à suggérer, même dans les démocraties, de créer une espèce de ministère de la vérité. Pour parodier Lénine et son célèbre ouvrage L’Impérialisme stade suprême du capitalisme, le ministère de la vérité en démocratie sous forme d’une agence d’accréditation ou de régulation de l’information serait le stade suprême de l’oppression par l’État, c’est-à-dire dans le meilleur des cas un régime autoritaire, dans le pire un régime totalitaire.
Il revient, et beaucoup de lecteurs de cet article le savent, à Walter Eucken et Daniel Villey d’avoir démontré de façon certaine et irréfutable que l’option de système est dichotomique de façon irréductible. C’est une faute contre l’esprit d’imaginer que l’on peut être partisan et de l’individualisme méthodologique et du holisme. S’agissant de l’économie que l’on pourrait être en sympathie et de la planification et des solutions à base de marché.
Si on passe maintenant du théoriquement pensable (qui est d’une importance cruciale pour savoir penser) au pratiquement réalisable, il peut y avoir en économie de marché quelques activités régulées pourvu qu’elles soient parfaitement circonscrites et de taille réduite. De même dans une économie étatisée, il peut y avoir quelques espaces de liberté. Mais on ne peut pas logiquement pêcher en rationalité pure contre la logique interne des systèmes. Ou la liberté est le principe qui conduit, orienté et ordonne les actes des individus, ou c’est une autorité centrale et un plan. C’est OU et non pas ET.
C’est exactement la même chose concernant l’appréhension des phénomènes humains et sociaux. L’entrée en ces domaines se fait soit par l’étude de la logique du comportement humain individuel libre ou par les cohortes, ensembles, classes, groupes, corporations. Là également, et encore et de même, un choix ou un autre l’emporte, et non pas une sorte de mix, avec selon les moments « un peu plus de ceci, un peu moins de cela » ou inversement.
La science de la Liberté.
C’est justement le rôle du libéralisme, l’une de ses missions, peut-être même sa gloire, que de réfléchir à la définition des contours et contenus de la science de la liberté, et d’avoir introduit de la clarté là où incontestablement sur ces sujets au début du XXIe siècle la confusion et l’incohérence règnent trop souvent.
Il est nécessaire, indispensable, vital de présenter la science de la liberté, c’est-à-dire le libéralisme et les bienfaits de la raison qui engendrent le progrès, dans une version la plus orthodoxe, la plus pure et sans concession. L’idée que l’on puisse être un peu libéral, un peu interventionniste, pour partie pour la liberté mais pas trop, pour la responsabilité mais avec des mécanismes amortissants, pour la propriété, mais avec toutes les exceptions nécessaires à la mise en œuvre de l’intérêt général est une manière de penser totalement erronée, et qui ne peut donner que des résultats médiocres, sinon catastrophiques.
La liberté, la responsabilité, la propriété privée, la science de la liberté se défendent ou « totalement ou pas du tout », mais pas « un peu ou à peine ». Ou bien on est persuadé que ces idées sont bonnes, alors il est absurde que sur le plan intellectuel et pratique des pans entiers de l’activité humaine échappent aux bienfaits de la mise en œuvre des principes, des procédés, et des façons de faire du libéralisme. Ou bien le libéralisme, c’est-à-dire la science de la liberté est une erreur intellectuelle d’envergure et une idéologie au service des possédants et des puissants, écrasant les petits, les faibles, et les humbles, et alors il ne faut pas la moindre dose de cette doctrine pernicieuse qui va jusqu’à atteindre si cruellement la dignité de l’être humain.
Comprendre l’économie ou être socialiste, il faut choisir.
Intellectuellement il n’y a que deux positions réellement acceptables sur le plan de la pensée et de la raison. Soit être un libéral complet et cohérent, donc un libertarien, soit être collectiviste. Évidemment dans la réalité des choses, des systèmes purs peuvent s’accommoder mais seulement la marge, de bouts de chemins vers les préconisations du système opposé. Mais on ne saurait introduire des contraintes fortes et lourdes dans la société libre sans offenser l’esprit même de la science de la liberté, le libéralisme. De même introduire des éléments de liberté dans un régime centralisé et collectiviste a vite fait de le corrompre jusqu’à en menacer son existence.
C’est très exactement ce qui est arrivé au communisme lorsque les dirigeants à partir des années 1980 ont distillé des doses de souplesse, des espaces de liberté dans lesquelles les individus ont vite fait de s’engouffrer pour les élargir. L’histoire en effet apprend que la liberté est un phénomène vertueux qui se fortifie au fur et à mesure de la pratique. Les systèmes de pensée ont leur logique propre interne et de cohérence. On ne saurait violer par trop les principes sans altérer la nature, l’esprit, et l’efficacité des systèmes philosophiques et économiques en question.
La dichotomie des systèmes est un phénomène incontournable. Daniel Villey a exprimé cela avec son élégance de style et son élévation intellectuelle dans son petit – seulement par la taille – ouvrage de 1967 : À la recherche d’une doctrine économique (Éditions Génin. Paris).
C’est ce qu’il exprime de façon limpide dans la parabole de la poupée qui nous servira de conclusion : « Qu’elles que soient au demeurant les altérations que l’on puisse imaginer de l’un ou de l’autre système, jamais leur mutuel mélange ne saurait donner naissance à une forme médiane, intermédiaire, neutre, organique, équilibrée, et qui représenterait en quelque sorte un tiers système. Un homme vivant peut avoir deux jambes de bois, deux bras artificiels, des yeux de verre, des artères coronaires en matière plastique, ce n’en est pas moins un homme vivant. On peut sur une poupée coller de vrais cheveux, de vrais ongles, voire de la vraie peau humaine, elle n’en reste pas moins une poupée. Ainsi peut-on concevoir que dans une économie de marché on planifie certains secteurs ou certaines fonctions, que dans une économie planifiée soit insérée certains processus partiels de marché. Il n’en reste pas moins comme ultime instance que la coordination d’ensemble de l’économie sera l’œuvre soit du plan soit du marché : non de l’un et l’autre à la fois. » (op.cit. pp.38-39)
Être libertarien ou communiste il faut choisir. Ces deux positions sont intellectuellement acceptables, même si dans la pratique les résultats évidemment sont extraordinairement différents au détriment des solutions collectives, totalitaires, centralisées, planifiées.
D’une autre manière tout aussi saisissante le doyen Alfred Jourdan1 écrit dans son ouvrage du rôle de l’État dans l’ordre économique ou économie politique et socialisme dans sa page deux ces lignes immortelles : « selon le parti qu’on prend sur cette question fondamentale2 on est économiste ou socialiste. Il y a là une pierre de touche infaillible. ».
Dit autrement être économiste ou socialiste il faut choisir.
Serge SCHWEITZER, Aix-Marseille Université, Docteur es Sciences économiques et spécialiste de l’école autrichienne d’économie.