France 2025 : la tribune de Serge Schweitzer.

Depuis 2024 et la dissolution de l’Assemblée Nationale par Emmanuel Macron, la France connaît une période d’instabilité politique jusqu’alors inconnue sous la Vème République.
Comment un libertarien cohérent peut-il analyser cette situation ? Serge Schweitzer répond à cette question dans une tribune que nous avons l’honneur de publier en exclusivité.

Diplômé d’un DES de Droit Public et d’un DESS de Finance, Docteur es Sciences économiques et spécialiste de l’école autrichienne d’économie, Serge Schweitzer a notamment enseigné au sein des prestigieuses Ecoles de Saint-Cyr Coëtquidan, mais surtout à la très libérale Université d’Aix-Marseille où il fut jusqu’à récemment le président du Département d’Economie et des Sciences Humaines et Sociales.

Très impliqué dans le mouvement libertarien français, Serge Schweitzer a donné de nombreuses conférences dans toute la France. Il est également l’auteur de nombreux articles, essais et ouvrages, dont dernièrement une trilogie sur le libéralisme publiée par les Presses Universitaires d’Aix-Marseille.

Les Libéraux face au chaos politique.

Il est un sujet d’étonnement. C’est celui de la réaction désolée de la plupart des libéraux – qu’ils soient dans la sphère des idées ou dans celle de l’action – s’agissant des évènements qui traversent notre pays depuis déjà longtemps, mais qui trouvent une expression paroxystique et révélatrice de la nature des politiciens, des bureaucrates et des hommes de l’État au cours de la dernière année.

Quand la soupe est servie.

Sous les yeux des Français, et du monde entier, ceux qui font profession de foi de représenter l’intérêt général et le bien commun donnent le spectacle que chaque jour l’on peut constater. Mixture indigeste composée pour un tiers de trahison de leurs idées affichées, pour un autre tiers d’une ignorance abyssale, et pour le dernier tiers d’un cynisme et de reniements à côté duquel celui de l’apôtre Pierre, s’il ne s’agissait pas du Christ, apparaîtrait comme un galop d’essai et un prototype pour enfants de maternelle. Cependant sachant que pour Raimu il y a quatre tiers dans trois tiers, l’un des passages les plus savoureux de Marius, le quatrième tiers donc trouve place dans une addiction peu commune à la lâcheté.

La réaction du public.

La pièce est considérée, on peut imaginer à juste titre, comme navrante par la plupart des observateurs, des journalistes, des spectateurs, et, à dire vrai, des Français. Cette réaction peut parfaitement se comprendre, et être largement admise, comprise et approuvée si l’émetteur est un individu qui croit dans la vertu de l’État, qui pense que son intervention est plutôt bienfaisante, qui imagine que nos représentants, aidés par les techniciens que sont les bureaucrates, sont les porteurs et les garants de l’intérêt général qu’ils recherchent et qui est le résultat de l’onction du suffrage universel, donc de l’élection. En démocratie, en effet, le peuple étant présumé souverain et ne pouvant collectivement se tromper, les représentants élus ont pour objectif de maximiser l’intérêt général, le bien commun, et non pas on ne sait quel sordide calcul du type utilité – désutilité de chacune des décisions prises en fonction du nombre de voix perdues ou gagnées….

Mais si l’observateur de ce théâtre de boulevard est un libéral, il ne doit pas, non seulement déplorer ce qu’il voit, il doit encore moins s’en étonner, mais il doit rationnellement se réjouir du spectacle qui confirme en tout ce qu’il dit, écrit, et proclame depuis si longtemps. Pour les libéraux quelle est la nature de celui qui se spécialise dans la production des biens publics, l’érection de droit, et le monopole de la violence légale pour capturer une partie conséquente du fruit de notre travail ? (certes proclament les hommes de l’État afin de financer ici les services publics, là la redistribution, là enfin les interventions de toutes natures qui augmentent le bonheur du plus grand nombre au détriment de ceux qui possèdent beaucoup, c’est-à-dire bien trop, et certainement de façon illégitime, voire trompeuse, puisque les fortunes le sont, chacun le sait, constituées frauduleusement soit au détriment du consommateur qui devrait payer moins cher ce qu’on lui fait payer plus cher, soit le résultat navrant de l’exploitation des salariés).

Le Libéralisme confirmé.

Il est tout à fait étonnant, sinon même déroutant, de voir et constater la réaction de la plupart de la cohorte, pourtant bien restreinte, des penseurs libéraux, des libéraux dans l’action, ou dans l’observation.

Ce qui se passe chaque jour sous nos yeux confirme la théorie de la décision publique élaboré par des économistes ou politistes libéraux aussi prestigieux que James Buchanan ou Gordon Tullock. Elle stipule que les entrepreneurs de biens publics, c’est-à-dire les entrepreneurs politiques, sont d’abord des individus rationnels ni meilleurs que la moyenne de tous les autres, ni pires non plus. 

Étant tout simplement des individus évaluateurs, rationnels, capables de se projeter dans l’avenir, ils évaluent chacune de leurs prises de positions et de leurs décisions en fonction d’un objectif bien naturel en démocratie, c’est à dire celui de la maximisation des voix. Exactement comme pour chacun d’entre nous dans nos décisions de toutes natures où nous choisissons, évidemment dans l’état de notre information, les décisions qui nous apparaissent comme procurant plus de satisfactions que d’insatisfactions. Simplement là où le propos précédent est véritablement révolutionnaire, inédit et propre aux seuls libéraux, c’est qu’il est un renversement de perspectives complet puisque les libéraux prétendent que les entrepreneurs politiques recherchent leur propre utilité et leur propre satisfaction plutôt qu’un hypothétique intérêt général, au demeurant absolument impossible à déterminer avec certitude. Ce qu’on appelle l’intérêt général est tout simplement en un moment donné le point de vue de celui qui détient le pouvoir, c’est-à-dire la coercition.

Que l’entrepreneur politique ou/et le bureaucrate soit persuadé, avec honnêteté, de prendre la meilleure décision possible est une autre discussion, mais il s’agit bien de SA décision, i.e. sa vision en un moment donné de la situation qu’elle soit qualifiée ou non d’intérêt général ou de Bien Commun. 

"Les libéraux ne peuvent espérer un jour voir leurs idées triompher que lorsque la croyance en un homme providentiel et dans les solutions étatiques sera évincée et disqualifiée dans un maximum de cerveaux."

Que doit alors penser un libéral cohérent ?

Celui qui est réellement un libéral, c’est-à-dire qui analyse une situation à l’aune des savoirs et des connaissances, enchâssé dans la croyance des bienfaits et vertus de la liberté, de la responsabilité et de la propriété privée, ne peut que se réjouir avec force des espérances, des possibles et des potentialités latentes de la situation actuelle. Les libéraux ne peuvent espérer un jour voir leurs idées triompher que lorsque la croyance en un homme providentiel et dans les solutions étatiques sera évincée et disqualifiée dans un maximum de cerveaux. Le spectacle affligeant, ridicule, clownesque offert aujourd’hui d’une part par un gouvernement qui a peur d’un Olivier Faure, et d’un palais passé de Bourbon à bourbier conforte les vrais libéraux dans l’analyse qu’ils ont du rôle et du statut de l’entrepreneur politique. Ce n’est en aucun cas du cynisme, mais comprendre que le spectacle donné à l’heure actuelle de ceux censés représenter l’intérêt général et le bien commun est une chance historique pour les libéraux qui doivent absolument tirer parti de la démonstration de la fécondité et la justesse de leurs analyses.

Ces mêmes libéraux ne doivent pas, lorsqu’ils émettent ces propos et idées, être empêchés par la prudence au prétexte qu’ils seront traités ici de populistes, voir là de fascistes. Qu’ils y voient plutôt le vice qui rend hommage à la vertu, c’est-à-dire l’adversaire doctrinal réduit à l’argumentaire du silence, et qui alors n’a plus pour lui comme ultime arme faute d’arguments que l’invective et l’insulte. 

 

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