La pratique du socialisme a été un cauchemar et non pas une utopie.

Il est parfois étonnant de constater à quel point la mémoire historique de l’humanité peut être courte. À en écouter certains dans le monde universitaire et sur les réseaux sociaux, on pourrait penser que le socialisme est une idée nouvelle et brillante, jamais essayée auparavant, qui promet un bel avenir de paix, d’amour et de générosité pour tous. C’est comme si cent ans de socialisme dans un grand nombre de pays à travers le monde n’avaient jamais eu lieu.

Une réalité bien différente.

Lorsqu’on évoque la réalité du socialisme au XXe siècle, de nombreux militants de gauche répondent en insistant sur le fait qu’aucun de ces épisodes historiques n’était un exemple de « vrai » socialisme. C’est simplement que les mauvaises personnes ont été aux commandes, ou que la loi n’a pas été mise en œuvre de la bonne manière, ou que les circonstances politiques l’ont empêché d’avoir une réelle chance de fonctionner avec succès. Ou encore que ce ne sont que des mensonges ou des exagérations sur les soi-disant mauvaises ou pénibles expériences de ces régimes socialistes. Selon eux, on ne peut pas reprocher au socialisme d’avoir eu un Lénine, ou un Staline, ou un président Mao, ou un Fidel Castro, ou un Kim Il-Sung, ou un Pol Pot, ou un Hugo Chavez.

La tyrannie, la terreur, les massacres et la stagnation économique, ainsi que le pillage politique et les privilèges accordés à quelques-uns au sommet des hiérarchies gouvernementales socialistes n’étaient pas révélateurs de ce que pourrait être le socialisme. Donnez au socialisme juste une chance de plus. Et puis, une autre chance, et encore une autre.

Les mensonges statistiques soviétiques sont trop souvent pris au pied de la lettre en Occident.

Ces attitudes n’ont vraiment rien de nouveau. Tout au long du XXe siècle, de nombreux intellectuels ont trouvé des excuses et ont accepté au pied de la lettre toute la propagande proférée par le régime de Russie soviétique. Ils fermaient les yeux sur tout fait ou preuve de ce qui se passait là-bas. Ceux qui ont trouvé le moyen de s’échapper du camp de prisonniers connu sous le nom d’URSS et qui ont raconté à quoi ressemblait réellement la vie dans le paradis des travailleurs ont été ignorés ou ridiculisés comme des gens ayant des intérêts antisoviétiques à défendre. Sinon, pourquoi auraient-ils quitté leur merveilleuse patrie soviétique ?

Une autre version de cet aveuglement était l’acceptation des statistiques économiques soviétiques au pied de la lettre par de nombreux experts soviétiques réputés en Occident, y compris les analystes au sein des services de renseignement de pays comme les États-Unis. Avant et après la Seconde Guerre mondiale, la majorité de ces universitaires et analystes tenaient pour acquis les statistiques officielles et les données connexes publiées par le gouvernement soviétique sur la merveille et le succès de l’économie planifiée soviétique. La propagande soviétique a annoncé les succès de planification de l’Union soviétique, devenue un pays industriel dans les années 1930 avec l’introduction de plans centraux quinquennaux, y compris la collectivisation forcée de l’agriculture. Puis, dans les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, les agences de planification de l’État soviétique ont produit des quantités massives de données statistiques montrant que dans la période d’après-guerre, tout allait bien et était sur la voie de la prospérité.

Le chef du Parti Communiste Nikita Khrouchtchev avait fièrement annoncé en 1961 que dans vingt ans – autrement dit dans les années 1980 – le peuple soviétique vivrait dans l’avenir tant attendu et promis d’un communisme post-pénurie. Le célèbre économiste américain et plus tard lauréat du prix Nobel, Paul Samuelson (1915-2009), avait même suggéré dans son manuel d’économie largement utilisé, dans les éditions publiées dans les années 1960 et 1970 et même dans les années 1980, qu’il était très possible qu’au début du 21e siècle, le produit intérieur brut soviétique dépasse le PIB américain. Le socialisme soviétique aurait alors montré sa supériorité économique sur le capitalisme américain.

Le socialisme soviétique montré par les correspondants à Moscou.

Parmi les journalistes occidentaux en poste à Moscou, il y avait dans l’entre-deux-guerres des propagandistes notoires de l’Union soviétique. Le plus scandaleux d’entre eux fut le correspondant du New York Times, Walter Duranty, qui reçut même un prix Pulitzer pour son reportage sur la famine du début des années 1930 lors de la collectivisation forcée des terres par Staline qui causa la mort de plus de 12 millions d’hommes, de femmes et d’enfants.

Fort heureusement, il y’avait aussi des journalistes occidentaux honnêtes qui effectuaient leurs reportages en Union soviétique à cette époque. Une fois rentrés de leur tournée à Moscou et libérés des censeurs soviétiques qui limitaient ce qu’ils pouvaient envoyer aux rédacteurs en chef de leurs journaux, ils ont raconté la réalité des choses en détail. Deux des meilleurs d’entre eux, à mon avis, étaient William Henry Chamberlin (1897-1969) et Eugene Lyons (1898-1985).

C’est aussi devenu le cas dans les années 1970 et 1980 avec la révélation de récits non censurés de la vie réelle sous le socialisme soviétique. Pas de données statistiques sèches et manipulés ici. Dans le style habituel du reportage, les correspondants ont expliqué la logique de la société soviétique en racontant des histoires sans fin sur les absurdités du fonctionnement de l’économie planifiée du point de vue des gens ordinaires dans leur vie quotidienne. Ainsi que sur les oppressions, les arrestations et la torture de tous ceux qui sont soupçonnés de pensées et d’actions « antisoviétiques ».

Les absurdités et les corruptions de la planification centrale socialiste.

Dans les entreprises d’État, les objectifs de fabrication étaient atteints en produisant des composants ou des produits finis qui respectaient les quotas de quantité et de tonnage du « plan » et qui étaient inutilisables en termes de taille, de forme ou de fonctionnalité, mais qui répondaient aux objectifs de production décidés par les planificateurs centraux de Moscou. Il y avait des biens de consommation de mauvaise qualité, mal travaillés et dont les quantités ne correspondaient pas à celles réellement recherchées par les consommateurs soviétiques en termes de style, de caractéristiques ou de dimensions. Tant que les objectifs de production et de rendement étaient atteints, du moins sur le papier, peu importe à quel point la vie des citoyens soviétiques ordinaires était stagnante, pauvre et frustrée. Pour les autorités de niveau intermédiaire du Parti communiste dans tout le pays et les responsables de la planification centrale à Moscou, ce qui comptait était d’assurer à ceux qui se trouvaient dans les échelons supérieurs du pouvoir soviétique que tout se déroulait comme prévu.

Peu importait à quel point le matériel, les machines et les hommes étaient économiquement inefficaces, inutiles et mal alloués dans une hypothétique perspective de coordination planifiée de manière centralisée. Si les quantités et les types d’intrants assignés à chaque usine de production par les agences de planification s’avéraient trop faibles ou trop importants pour respecter les quotas de planification de la production, les directeurs de production de l’usine avaient toujours à leur disposition un « réparateur » parmi le personnel qui troquait ou soudoyait les intrants nécessaires dans d’autres usines pour atteindre les objectifs de production mensuels. Non pas que ce marché informel et illégal de facteurs et de ressources ait quelque chose à voir avec une réelle rentabilité ou productivité. Il s’agissait simplement d’avoir ce dont vous aviez besoin pour vous assurer d’atteindre l’objectif du plan pour ce mois.

Si cela ne fonctionnait pas, eh bien, il suffisait de falsifier les chiffres transmis aux bureaucrates de la bonne manière afin que personne ne le remarque. Si l’affaire était repérée par quelqu’un de haut placé dans la hiérarchie du Parti, des cadeaux et des faveurs pouvaient être offerts à la bonne personne. Les prix attribués aux biens n’avaient aucun sens, ayant été fixés par les agences de planification des années, voire des décennies auparavant, sans rapport ni réalité avec l’offre et la demande réelles. Des files d’attente interminables pour les biens nécessaires ont résolu les problèmes de rationnement de la société soviétique. Pour les biens sans valeur, eh bien, ils pouvaient simplement rester sur les étagères des magasins de détail du gouvernement, tenus par des employés du gouvernement désinvoltes qui quittaient fréquemment le travail pendant des heures pour faire leurs propres courses, d’où la phrase populaire en Russie soviétique : « Ils font semblant de nous payer et nous faisons semblant de travailler ».

La vie dans l’utopie socialiste soviétique.

Au début des années 1990, je voyageais fréquemment dans l’ex-Union soviétique pour effectuer des travaux de conseil sur les réformes du marché et la privatisation, en partie avec la municipalité de Moscou et le Parlement russe, mais surtout avec des membres antisoviétiques du gouvernement de la Lituanie soviétique, déterminés à reconquérir l’indépendance nationale de leur pays et à rétablir une économie de marché.

Plusieurs fois à Moscou, je me suis rendu au complexe des grands magasins GUM, face au Kremlin, de l’autre côté de la Place Rouge. Aujourd’hui, dans la Russie post-soviétique, il a été modernisé avec des magasins et des boutiques qui ne diffèrent pas beaucoup des zones commerçantes de Paris, de Londres ou de New York. Mais à l’époque, tout était détenu et géré par l’État soviétique et approvisionné par la production et les quotas de l’agence centrale de planification, le GOSPLAN.

Le bâtiment avait un intérieur en forme de U avec trois niveaux, à chaque niveau se trouvaient une variété de magasins de détail dits « populaires ». Le bâtiment était vieux et délabré, avec de la peinture écaillée, des éclats et des fissures sur les murs, les passerelles et les rampes. L’endroit était crasseux et sale. C’était un exemple remarquable des réalisations du socialisme soviétique au service des masses travailleuses dans le beau et brillant paradis socialiste.

Des gens maussades et fatigués parcouraient les trois niveaux, marchant devant un magasin après l’autre dont les rayons étaient pour la plupart vides. Les vendeurs se tenaient derrière des comptoirs avec peu ou pas de marchandises, et ne montraient aucun entrain aux rares clients qui posaient une question ou voulaient acheter quelque chose. De toute évidence, la devise soviétique du commerce de détail était « Le consommateur soviétique n’a jamais raison ni n’est jamais désiré ».

Dans la sagesse de la planification centrale soviétique, il n’existait pas de supermarchés à l’occidentale. Au lieu de cela, il existait des magasins de détail distincts pour des types de produits individuels ou particuliers. Je faisais la queue dans un magasin de pain en attendant d’arriver à un comptoir où j’ai dit à un employé du magasin lequel des types limités de pain je voulais. On m’a donné un ticket avec les montants souhaités et on m’a demandé de rester debout et d’attendre sur une deuxième file, au bout de laquelle j’ai payé les miches de pain que je souhaitais acheter. On m’a ensuite remis un reçu et on m’a demandé de rejoindre une troisième file à partir de laquelle, encore une fois après une longue attente, j’ai pu récupérer le pain que j’avais payé.

Mais comme le dit l’expression, l’homme ne vit pas seulement de pain. Je suis donc parti à la recherche des magasins de détail de produits laitiers et de viande, qui n’étaient pas forcément à proximité de là où j’avais acheté le pain. Et à chacun d’eux, j’ai répété le rituel de la première file, de la deuxième file et de la troisième file. Maintenant, avec des sacs contenant tout ce que j’avais eu la chance de trouver dans ces magasins, j’ai finalement trouvé un commerce où l’on pouvait acheter de l’eau en bouteille et la version soviétique des boissons gazeuses. Je me suis retrouvé dans une file d’attente qui s’étendait jusque dans la rue et alors que, après une très longue attente, j’étais presque arrivé au comptoir à l’intérieur du magasin, on m’a annoncé qu’ils avaient épuisé leur stock de la journée et que tout le monde devait revenir le lendemain. Mais même dans le paradis socialiste, il y avait des possibilités pour une fin heureuse. Dans un coin du magasin, une vendeuse du marché noir a crié qu’elle avait de tout ; bien sûr, à un prix de « marché ». J’avais remarqué plus tôt que cette même femme, offrant désormais une abondance de ce que les gens voulaient, se tenait devant une porte à l’intérieur du magasin menant à l’arrière-boutique où étaient conservés les stocks d’eau en bouteille et de soda. Quelle coïncidence !

Sous le regard vigilant des serviteurs de l’État soviétique.

Je séjournais souvent à Moscou à l’hôtel Cosmos, qui était réservé aux étrangers et dans lequel les citoyens soviétiques étaient interdits, à moins, bien sûr, qu’elles ne fassent partie des prostituées agréées par le Parti, partageant leurs bénéfices avec les proxénètes du Parti et/ou espionnant des visiteurs étrangers. Une fois, je suis sorti et je ne suis pas revenu à l’hôtel ce soir-là. Quand je suis revenue le lendemain matin, j’ai pris l’ascenseur jusqu’à mon étage et, lorsque les portes se sont ouvertes, j’ai été accueillie par l’une des matrones soviétiques affectées à chaque étage qui m’a demandé où j’avais passé toute la nuit, car on avait remarqué que mon lit n’avait pas été utilisé et qu’il fallait tenir compte de mes mouvements.

J’ai loué une voiture dans cet hôtel de Moscou pour que ma future femme et moi puissions nous rendre à Leningrad pendant un long week-end et qu’elle me montre la ville où vivaient certains de ses amis. Tout le monde m’a prévenu que chaque fois que je me garais, je devais retirer les essuie-glaces et les verrouiller dans la voiture si je ne voulais pas qu’ils soient volés. Plusieurs personnes m’ont dit que je ferais mieux de m’assurer de remplir le réservoir d’essence et d’emporter plusieurs bidons d’essence portables pour remplir le réservoir en cours de route, car il n’y avait presque pas de stations-service le long des 750kms entre les deux villes. Au pays des merveilles socialistes il y avait peu de stations-service, même à Moscou. Après en avoir localisée une, j’ai dû attendre deux heures dans une file d’attente pour enfin amener la voiture à la pompe à essence. De plus, ma fiancée a mis un point d’honneur à emporter beaucoup de nourriture et de boissons pour le voyage car il n’y avait ni restaurants ni aires de repos le long de la route. Et ce, sur la route principale entre les deux villes vitrines de l’Union Soviétique !

J’ai également eu la joie d’être arrêté par un milicien (policier) pour une infraction au code de la route près de la Loubianka, le siège du KGB, et j’ai pratiqué l’art de la corruption en espèces, même si je n’avais rien fait de mal en conduisant. J’ai eu le plaisir d’essayer d’obtenir les médicaments dans la société socialiste de soins de santé « gratuits » et ai également eu la chance d’essayer de sortir dîner dans un restaurant et de découvrir que le Moscou socialiste en avait très peu ouverts au grand public, et que pour ceux-là, il fallait soudoyer le portier pour pouvoir entrer et découvrir ensuite que 90% de tout ce qui était sur le menu imprimé n’était en réalité pas disponible.

Dans le hall du vieil hôtel Russia, non loin du Kremlin, je prenais un café avec ma future épouse, lorsque j’ai remarqué qu’une employée de l’hôtel, assise sur un banc le long du mur, sortait un petit appareil photo et prenait rapidement une photo de nous avant de cacher l’appareil sous son manteau. Quelque part dans les archives de la police secrète se trouve la toute première photo de nous deux ensemble ! Lorsque nous avons décidé de nous marier, un fonctionnaire du bureau des licences de mariage à Moscou, qui mariait des citoyens soviétiques à des étrangers, m’a dit que j’aurais besoin d’un document notarié du bureau du procureur général de chacun des 50 états des États-Unis, certifiant que je n’étais pas marié dans leur juridiction ! Nous nous sommes finalement mariés aux États-Unis.

Le chaos planifié.

Quel monde que celui du socialisme en pratique ! Un monde que l’économiste autrichien Ludwig von Mises a décrit dans l’un de ses livres : Le Chaos du Planisme. Le socialisme soviétique était une véritable folie planifiée.

Lorsque le sociologue français Gustave Le Bon publia La Psychologie du Socialisme en 1899, il craignait qu’ « une nation, au moins, devra le subir [l’établissement d’un système socialiste] pour l’instruction du monde. Ce sera une de ces leçons pratiques qui seules peuvent éclairer les nations amusées par les rêves de bonheur affichés sous nos yeux par les prêtres de la nouvelle foi [socialiste] ». Est-il vraiment nécessaire que cela recommence aujourd’hui ? Espérons que non.

Richard M. Ebeling, chercheur principal de l’AIER, est professeur émérite BB&T d’éthique de la libre entreprise et de leadership à The Citadel, à Charleston, en Caroline du Sud. Traduction du Parti Libertarien depuis Socialism-in-Practice Was a Nightmare, Not Utopia.

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